21.1.08 : Jambes de bois
Là, je vois dans une papeterie un pot à crayons, de beaux crayons en bois, longs, épais, pointus, et il y en a un qui a la mine un peu cassée, rien de grave mais bon… il jure au milieu des autres. Et je me demande qui va l’acheter et s’il va même se vendre… pourquoi les gens ne se foutraient pas de cette ridicule défaillance physique, le bout d’une mine cassé ? Car si on le taille un peu, le crayon retrouve toutes ses facultés…
Ca me rappelle que quand j’étais petit je mettais une sorte de point d’honneur à prendre le gâteau qui s’était brisé dans le paquet, je voulais montrer aux autres que c’est pas parce qu’il est en morceaux qu’il a perdu son goût. Je voulais certainement prouver quelque chose. Sur l’apparence ? En tout cas je ne comprenais pas ce goût pour la chose propre, intacte.
Aujourd’hui, adultes que nous sommes, nous tendons vers la chose "en état" car il y a achat, investissement – même pour un crayon de bois – ; mais quand je repense à l’enfance et à l’épisode du gâteau, l’enfance où il n’est pas question d’argent, je me dis qu’il doit y avoir quelque chose profondément ancré en nous qui nous fait préférer le performant à l’invalide… Personnellement je trouve plus de caractère à la chose cassée qu’à la chose indemne et je crois que ça a toujours été comme ça. Je ne sais pas d’où ça vient…
Et je pense à une histoire que Tom Waits a racontée lors d’un concert auquel j’assistais, je traduis : "il était une fois deux arbres, l’un était beau, grand, fort ; l’autre était tout biscornu, petit, chétif. Le grand arbre se moquait de l’autre "regarde comme je suis beau, grand et fort et toi comme tu es biscornu, petit et chétif !". Puis arrivèrent deux bûcherons, "quel arbre allons-nous pouvoir couper aujourd’hui ? Oh, regarde celui-ci comme il est beau, grand et fort !". Et ils coupèrent l’arbre et l’emportèrent. L’arbre biscornu, petit et chétif n’était peut-être pas très beau et très en forme, mais au moins lui il était en vie…"
Tom Waits racontait mieux que moi.
Ce que ne dit pas l’histoire c’est que l’arbre coupé allait servir à faire des crayons de bois…