Emmanuel Bove, notice autobiographique
rédigée en 1927 lors de la parution d’"Un soir chez Blutel"
"J’avoue qu’ici mon trouble est un peu celui de l’acteur qui, oubliant tout d’un coup son rôle, est obligé d’inventer des répliques ou de s’excuser tant bien que mal auprès des spectateurs. Ce que me demande Lucien Kra est au-dessus de mes forces. Il m’est arrivé une fois dans ma vie d’écrire un article. Cela m’a coûté beaucoup de travail et encore a-t-il fallu que l’on m’aide. Je me contenterai d’écrire quelques lignes. Comme elles n’auront aucun rapport avec le récit qui suit, il n’en faudra pas davantage pour qu’elles prennent un air de carnet de l’auteur. […] Et ici, ce qui est, c’est que je suis incapable d’écrire un carnet de l’auteur, pour mille raisons dont la première est une pudeur qui m’empêche de raconter des histoires sur moi dont la plupart, d’ailleurs, seraient fausses. Il y aurait bien ma date de naissance qui serait exacte. Encore faudrait-il que mon humeur du moment ne me poussât à me rajeunir dans le but de passer pour un prodige ou à me vieillir pour donner plus de poids à mes livres. Qui saurait d’ailleurs résister au plaisir d’emplir sa biographie d’événements, de pensées basses, d’envie d’écrire à l’âge de huit ans, de jeunesse incomprise, d’études très brillantes ou très médiocres, de tentatives de suicide, d’actions d’éclats à la guerre, d’une blessure mortelle dont on a réchappé, d’une condamnation à mort dans un camp de prisonnier et de la grâce arrivant la veille de l’exécution. Le plus sage, je crois, est de ne pas commencer."
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