19.6.07 : Emmanuel Bove
Emmanuel Bove. On parle souvent d'oubli injuste à son sujet, et je partage cet avis. C'est selon moi un grand écrivain. J'ai fini mon premier livre de lui il y a trois semaines, et j'ai terminé hier soir mon troisième. Si j'ajoute à cela que ça fait un an que je n'ai pas réussi à finir un roman, ça peut illustrer mon enthousiasme.
La lecture est fluide. Les mots sont simples, l'écriture directe, on dit aussi qu'elle est "pauvre" ; c'est drôle d'ailleurs qu'on dise cela car j'ai l'impression que l'essence même de ses écrits sont justement la pauvreté et la richesse. On a l'impression que tout est parfaitement orchestré, le cours du récit, l'écriture, les digressions...
Quand je le lis, j'ai l'impression d'être en terrain connu. À quoi ça ressemble ? Un récit réaliste agrémenté d'un autre élément qui fait le relief : l'abstraction, la poésie, la psychologie... Beckett disait de lui qu' "il [avait] comme personne le sens du détail touchant", dans ses deux premiers livres, Mes Amis et Armand, c'est effectivement ce sens du détail qui saute aux yeux. Des détails parfois insignifiants mais à ce titre justement, beaux. L'inutile.
Il se passe peu de choses dans l'action de ses livres, mais j'ai le sentiment que dans chaque phrase, là, il y a plein de choses.
À le lire je pense à d'autres artistes : Duras (mais Bove peut être drôle), Leos Carax pour la parcimonie des dialogues et la poétique de la pauvreté, Wim Wenders et Eric Rohmer pour l'errance (d'ailleurs j'ai lu que Wenders a tourné un court-métrage d'après "Mes Amis" mais je n'arrive pas à vérifier cette information)... Peter Handke est le traducteur de Bove en Allemagne et si je pense au "Malheur indifférent", effectivement je comprends qu'il l'aime. Tiens il y a beaucoup de cinéastes dans cette liste ? C'est peut-être qu'il y a beaucoup d'images qui se dégagent de Bove.
Il connut le succès dès son premier livre paru en 1924 - il avait 26 ans - une quinzaine de romans suivirent avec autant de retentissement, jusqu'à sa mort en 1945. Puis il y eut ce fameux oubli. Pourquoi ? Est-ce que ça vient de son faux nom qui sent trop l'artifice ? Est-ce que c'est dû à la simplicité de ses écrits ?
J'ai entendu parler de lui la première fois il y a trois ans quand un ami m'a tendu une liste de livres "de la moitié du XXème siècle" qui étaient à lire, après que je lui aie dit que j'avais aimé un livre d'Henri Calet, "Monsieur Paul". Il m'a tendu ce bout de papier que j'ai toujours : Georges Hyvernaud "La Peau et les os" (Dilettante), Raymond Guérin "L'Apprenti" (Gallimard), Emmanuel Bove "Mes Amis", Jean Meckert "Les Coups" (Folio). Je remarque que "Mes Amis" est le seul titre sans éditeur annoté. En librairie j'avais trouvé "Les Coups" et "L'Apprenti". "Les Coups" je ne voulais pas le lire car il était épais et il était trop douloureux a priori par rapport à ce que je vivais à cette époque : une de mes amies était frappée par son petit ami et c'était proprement le sujet du livre, je n'ai pas voulu romantiser sa vie en le lisant. Alors j'ai tenté de lire "L'Apprenti" mais je me suis ennuyé au bout de la moitié. Et quand je m'ennuie je me force rarement. Alors cette liste est tombée un peu dans l'oubli. Mais quand il me l'a tendue je m'étais fait la réflexion que je ne connaissais pas ce Bove, les autres noms sont plus communs ou connus, mais Emmanuel Bove ça sonne étrangement, non ? La longueur du prénom par rapport au peu de lettres du nom, le rapprochement avec "bovin" peut-être, tout en se finissant par une voyelle muette... j'ai l'image de quelque chose de sombre et morbide, je ne sais pas.
Et puis ensuite j'ai lu "La Mer de la tranquillité" de Jean-Luc Bitton, que j'ai beaucoup aimé, journal illustré par de magnifiques photos. Là-aussi je me retrouvais... En fin d'ouvrage j'ai découvert que Bitton a écrit la biographie de Bove. Deuxième fois.
Enfin, l'an dernier Jean-Pierre Darroussin sortait son premier film : "Le Pressentiment" d'après un livre d'Emmanuel Bove. J'aime bien Darroussin. Peut-être à ce sujet un écho à propos de l'écrivain sur France Inter. Troisième fois.
Alors l'autre jour dans une bibliothèque, à côté d'un "CHR" que je cherchais je suis tombé sur un "BOV" et j'ai pris l'unique livre de Bove qu'il y avait. C'était "Armand", qui reste après mes trois lectures mon préféré. Ça a commencé comme ça. Je vais continuer.
"Mes Amis" - Nota bene, 2002 ou Flammarion, 1977
"Armand" - Nota Bene, 2007 ou Flammarion, 1983
"La Mer de la tranquillité" de Jean-Luc Bitton et Dolorès Marat - Les Petits Matins, 2005