14.3.08 : En amont
Quelques jours à la montagne. Cinq dans un appartement. Parmi nous un bébé d’un an et demi. J’ai fait du ski, pas lui (de la luge) mais quand je rentrais, ou avant de partir, j’étais avec lui.
Il ne parle pas encore, il commence juste à marcher, mais il s’exprime, et passe son temps à s’approprier le monde. Il découvre tout, teste tout, chaque seconde est utilisée, tout le temps un nouvel acquis, ou en passe de le devenir.
Sa mère m’explique qu’à cet âge il ne fait pas de différence entre elle et lui, c’est la même personne, c’est fusionnel ; quand il se voit dans un miroir il voit un autre bébé mais il ne conçoit pas que c’est lui, il ne se conçoit pas en tant qu’individu.
Tout ce que je vois, ces évolutions spectaculaires, ces bribes de caractère, cette "genèse" de sa personnalité, cette construction étonnante, il n’en aura pas le souvenir, il n’y a que nos récits, nos photos, nos films qui peuvent l’évoquer.
Je ne peux m’empêcher de penser à ma propre vie quand je le vois, me dire que j’ai été comme ça, que mes parents m’ont dit la même chose que ce que lui disent les siens, que je devais également pleurer quand il fallait se coucher… et je n’en ai aucun souvenir. Personne certainement. Voir ce début fait en quelque sorte prendre conscience de soi-même, d’où on vient, si on le sait théoriquement, l’observer concrètement nous montre à quel point nous avons "grandi" et ajuste quelque chose à notre réflexion sur ce qu’est la vie.
Je suis frappé par sa "jeunesse" – bien sûr – je veux dire ses traits, si frais, si purs, si ronds… il est l’expression de la plus pure jeunesse physique. Quand je vois un vieillard maintenant, je pense à ce bébé, et je me dis que la vie est là du début à la fin… encore une fois on le sait mais étant donné que nous ne nous souvenons pas de nous bébé – c’est un peu comme si c’était une autre vie – et que nous ne connaissons pas notre fin, il n’y a que ce spectacle qui peut nous permettre d’acquérir un peu de notre globalité.
Sur la luge il nous regardait en souriant, pourtant son bonnet était de travers, il ne nous voyait que d’un œil, ça ne semblait pas le déranger, il nous faisait son plus beau sourire, sa mère le lui a remis droit quand on le lui a dit. Voilà, il aura peut-être un peu compris qu’on voit mieux avec deux yeux, mais à la base il s’en fichait, il avait déjà pas mal à emmagasiner, entre la luge, la glisse, la neige.