6.5.08 : Polaroïd
À chaque fois que je passe devant lui je me dis "non je ne vais pas écrire sur lui, c’est trop facile". Et ce matin, je ne sais pas, c’est peut-être qu’il fait chaud et qu’il a sorti la chemise, la veste, qu’il s’est adapté… je me suis dit qu’il était à toute épreuve et que je pouvais écrire sur lui.
Donc, place de l’Opéra, à l’angle du boulevard des Capucines, côté Café de la Paix, un homme, la soixantaine, qui me fait penser à un vieux surréaliste dandy et à un vieil Espagnol, est planté là avec son appareil photo et il cherche à prendre les gens, les touristes, pour leur vendre ensuite le cliché, devant l’Opéra.
Je passe souvent là, il y est toujours depuis, disons, un an, et je ne l’ai jamais vu prendre quiconque en photo. Il s’agite comme une anguille, aborde personne sur personne. Et personne ne veut de ses services.
Son appareil, qu’il tient autour du cou, est très large, plat, certainement très vieux. Quand il croise des gens, avec un sourire, il fait même mine d’appuyer sur le déclencheur pour qu’ils comprennent bien ce que c’est… Il est hors temps, lui comme son appareil, ou bien c’est une performance dada, je ne sais pas.
Bien sûr il doit y arriver parfois, mais qui aujourd’hui, parmi les touristes de l’Opéra, n’a pas d’appareil photo ? Il doit en exister quelques-uns, mais rares, comme deux aiguilles qui se touchent dans une botte de foin…
Mais il est là, sur la plus belle place de Paris, la plus visitée, c’est inespéré, soit, mais c’est le sort qui a tort, lui a raison d’être là précisément.
Ce matin donc il s’était un peu allégé car il faisait chaud, je me suis alors dit qu’il n’était pas fou. Il est un peu décalé, dans son monde peut-être, mais quand il fait chaud il fait comme tout le monde, et comme tout le monde il essaye de gagner sa vie.
Nos regards ne se sont jamais croisés, je suis au carrefour sur mon vélo, il guette sa proie, ses proies, son regard ne va jamais au-delà du trottoir, sauf au moment où il décroche un couple, son œil doit cadrer le dôme de l’Opéra, là juste derrière.