28.8.07 : Bête de foire
Il y a eu une rixe la nuit dernière dans mon quartier. Une spectaculaire : 150 personnes, couteaux, machettes... Ils ont sorti l’armada. Moi je n’étais pas chez moi, donc rien vu rien entendu. On me l’a dit et du coup je lis dans les journaux, “deux bandes rivales s’affrontent à Pigalle” fait la une du Parisien. Autant de personnes c’est rare mais dans le quartier ça bastonne fréquemment.Pigalle est fait de ça, c’est dans ses gênes.En bas de chez moi il y a une boîte africaine (plus exactement c’est une association - officiellement une association a droit à trois jours dans l’année où l’alcool est autorisé, bon là ils doivent avoir une sacrée dérogation), chaque soirée se termine en bagarre dans la rue, enfin elle commence peut-être à l’intérieur mais on est plus à l’aise dehors. Les flics ne viennent plus, ils ont peur.Ca a remplacé le bar qu’il y avait à quelques mètres, ça ne se battait pas tous les soirs mais c’était quand même fréquent. Une nuit, ou plutôt un matin, j’ai vu une voiture démarrer à toute allure avec un type plaqué sur le capot qui essayait de casser le pare-brise avec un cric...Une autre fois, en partant travailler très tôt, vers 6 heures, en septembre, j’ai vu du sang et au moins une dent sortir de la bouche d’une SDF qui se faisait frapper par son homme...Il y a déjà eu des morts par balle dans ma rue. “Si tu te penches à la fenêtre tu risques de te prendre une bastos dans la tronche” me dit Dédé, une vieille femme de mon immeuble, ancienne tenancière de bars et hôtels du quartier. Un jour un “tireur” (voleur) lui a offert un vison, elle en a fait un manteau pour son chien. Merci Dédé d’exister.
Pigalle, le Moulin Rouge (“moulin wouge” des touristes). D’un rouge plus pastel que le sang qui coule de ses doigts. En surface il y a les seins frais, les belles jambes, les sourires, le french cancan joyeux qui forment le côté pile ; la drogue, l’alcool, le sexe des cabines, de la prostitution le côté face... Mais en creusant juste un peu on s’aperçoit que le spectacle illustre à merveille l’extérieur : un aquarium géant où une fille danse avec un python, des chevaux nains qui ne font que passer, un ventriloque en costume… Quand on sort on retrouve ces figures étranges : on voit d’abord dans le hall la photo du ventriloque 20 ans auparavant, avec la même marionnette ; quand on arrive sur le trottoir, avec un peu de chance on voit les chevaux rentrer dans leur toute petite roulotte, sagement les uns derrière les autres, la crinière en brushing ; si on s’achète le journal on lit que le Moulin passe en jugement pour ségrégation raciale… tout ça dans la lumière des néons alentour. Tout ça, qu’on aurait pas dû voir, ça doit être la tranche qui relie les deux faces. Il n’empêche que c’est un des monuments de Paris les plus photographiés. Sur combien de photos est-ce que j’apparais ? À pied, à vélo, le jour, la nuit, pâle, bronzé, les cheveux courts, longs, je dois être là à l’arrière plan... posé sur une table de buffet, collé dans un album, au Japon, aux USA, en province…Pigalle, la bête de foire.