31.12.09 : "L'Extinction des feux"
Nouvelle dont je suis l'auteur, publiée dans la revue Nos'Arts, n° de novembre-décembre 2009, pages 39 et 40 :
Le repas est terminé, la table débarrassée… la soirée va pouvoir commencer. Pourtant il commence à être tard.
Ils ont travaillé toute la journée, réussi à faire ce qu’ils voulaient. Un peu de détente, de plaisir, de vacuité leur plairaient maintenant…
Mais dans la rue c’est l’extinction des feux déjà.
Ils ne sont pas fatigués. Ils ont envie de bouger. Non, un film, un livre, non. Dehors. Voyager. À l’aventure.
C’est l’été, l’air est moite et chaud, proche de l’orage. Ils ont enfilé leur veste mais c’est une erreur, enfin tout dépend de l’heure à laquelle ils vont rentrer.
Ils enfourchent leur moto.
Comme deux pies ils sont attirés par tout ce qui brille, néons, intérieurs de café, feux rouges… Ils ne se sentent bien que la nuit, quand le contraste est apparent. Ce ciel noir et cette terre qui brave la nature en s’éclairant elle-même.
L’air tiède les rafraîchit tout de même. Lui pense à cette scène de "Rusty James" où Matt Dillon et Mickey Rourke font de la moto. C’est le même été, la même douceur.
Que faire ?
Continuer de rouler ainsi, au gré des rues, de leurs éclairages ?
Aller à un endroit précis, s’arrêter ?
Ils aimeraient aller vers quelque chose qui fasse battre leur cœur, mais ne savent pas où le trouver. Le hasard peut-être les y amènera.
Ils cherchent le paradis sur terre,
- Madame, savez-vous où c’est ?
- Monsieur, vous me dîtes que l’enfer est là-bas ? Merci, mais on n’a pas envie d’y aller ce soir…
Non…
Ils n’ont pas envie d’aller gentiment se coucher.
Les terrasses sont bondées. Beaucoup de gens ont passé la soirée au restaurant et terminent de manger, calmement. Que feront-ils après ? Ils rentreront chez eux car demain ils travaillent. Eux demain travaillent aussi mais ne sont pas soumis à des horaires… et ils n’ont pas envie de penser à demain. Les gens ont l’air bien calmes, ne ressemblent pas à leur agitation intérieure.
Ils ne se demandent pas pourquoi ils sont agités intérieurement… ça leur a pris comme ça à elle et lui et ils n’ont pas l’esprit à réprimer ce désir de mouvement.
Ils passent non loin de son atelier à elle, y entrent, un dessin est en cours, elle le regarde, voit les défauts mais n’a pas envie de le remanier maintenant. Pas envie de travailler. Elle aimerait autre chose, que son cœur se déverse quelque part, mais tout a l’air bien clos.
Ils grimpent au Sacré-Cœur. Des cadavres de bouteilles jonchent le parvis. Des touristes assis sur les marches discutent, ivres, de jeunes garçons français draguent les plus jolies filles. Lui s’avance jusqu’au balcon, observe Paris quelques instants, aux côtés d’amoureux qui se prennent en photo. Il aime cette vue. Il regarde le peu d’étoiles qui apparaissent, ça le divertit. Puis simultanément ils ressentent l’envie de partir, de ne pas s’appesantir. En redescendant, ils croisent deux hommes dans un recoin qui fument du shit. Les restaurants et cafés ferment, les employés sortent les poubelles ou rentrent les tables. Leurs amis les attendent sur le perron pour continuer la nuit.
Après d’autres déambulations dans le nord de Paris, ils concluent que rien ne les attire et qu’ils ne parviendront pas ce soir à se contenter. C’est comme ça, leur humeur romantique respective, un peu différente de l’un à l’autre, le restera et leur point de vue sur les choses s’en trouvera renforcé… La semaine dernière elle a vu Tom Waits en concert. Elle se donne ce soir le même sentiment que celui qu’elle a eu en voyant le chanteur : d’être un homme seul se démenant avec ce qu’il sait faire. Un homme éclairé en rouge au milieu de l’ombre environnante, criant un chant éternel devant un parterre de fidèles. Ça l’avait frappée, malgré la notoriété de la star, ce qu’elle avait vu c’était un homme seul, une solitude qui le montrait au plus nu, et cette nudité au plus vrai. Par là il incarnait l’humanité toute entière.
À présent, au-delà de Paris, de la France, ils parlent d’autres pays où il y a d’autres coutumes, d’autres mœurs, lui évoque son frère qui est en Afrique… ils se disent qu’il faudrait peut-être les tenter, ces endroits, et que dans le voyage, déjà, il y a contentement.
Quoi qu’il en soit, à 2 heures du matin, leur rêve de contrées lointaines est reclus. Ils sont forcés de renfourcher leur moto et de rentrer sagement dormir, comme deux prisonniers qui ont tenté l’évasion et qu’on vient de prendre en train de passer la clôture.