3.4.07 : Mort de l'écrivain Driss Chraïbi
Ce matin, l’annonce de la mort de Driss Chraïbi m’a fait un coup au cœur quand j’étais encore au lit, somnolent. Un verre d’eau en pleine figure. J’ai illustré la couverture de son dernier livre, "L’Homme qui venait du passé", il y a trois ans. Depuis, son nom m’est familier, j’ai lu quelques-uns de ses livres, quand je rencontre des clients je présente toujours cette couverture…
Hier soir, après un coup de fil, je suis resté sur mon lit, les idées et le regard dans le vague, jusqu’à ce que je me fixe sur "L’Homme qui venait du passé" encore posé sur mon lit après ma prospection au Salon du Livre. Et plus exactement, puisque mon œil est habitué à cet ouvrage, je me suis focalisé sur le nom de l’auteur : DRISS CHRAÏBI. Je ne sais pas, il est apparu comme en surimpression, comme si je le lisais pour la première fois, c’est peut-être même la première fois que je le lisais vraiment sur cette couverture, même si je la connais par cœur. L’instant de sa mort ?
La chronique de France Inter fut brève : "Mort de l’écrivain marocain Driss Chraïbi, célèbre pour ses écrits sur la colonisation, il avait 80 ans".
De lui je ne connais finalement pas grand-chose. J’ai lu trois de ses livres, je sais qu’il était ami avec Mitterrand, qu’il avait vécu sur l’île d’Yeu en Vendée, qu’il avait travaillé pour France Culture, qu’il était un auteur "classique" au Maghreb (on étudie "Le Passé simple" à l’école), qu’il était de gauche. Qu’il était le premier auteur que j’illustrais et que j’étais fier de le représenter.
À plusieurs reprises j’ai essayé de lui écrire pour lui souhaiter mes vœux, je crois que j’ai tenté les trois années qui me séparent de la publication de "L’Homme qui venait du passé". Je ne l’ai jamais rencontré, la seule chose que je sais de lui à mon égard, c’est qu’il trouvait belle la couverture et qu’il l’avait acceptée tout de suite. J’aurais voulu lui faire signe différemment, ne pas être qu’un nom en quatrième de couverture. J’ai donc tenté, gribouillé du papier, je me trouvais ridicule, pas bon, timide… Je n’ai finalement rien envoyé. Peut-être que sa famille et ses proches pourront lire mon hommage, mais auprès de lui je resterai juste un nom. Je le regrette.
Cet après-midi j’ai pris un taxi, nous avions un assez long trajet à faire, il était sympa, on parlait, il était d’origine maghrébine. J’avais envie de lui demander s’il connaissait Driss Chraïbi, je me disais que peut-être il avait été affecté par sa mort, ou peut-être qu’il ne le savait pas. Peut-être qu’il ne le connaissait pas d’ailleurs, mais au cas où ? J’avais envie de lui en parler. J’ai un bout de phrase dans la bouche "vous avez appris la mort de Driss Chraïbi ?", mais s’il ne le connaît pas ? "Vous connaissez Driss Chraïbi ?". Je me demande pourquoi j’ai envie de lui en parler. Je ne sais pas.
À un moment, peu avant d’arriver, il me demande où il y a une Fnac dans le quartier (Belleville), je lui réponds et je me dis que peut-être il veut acheter un livre de Chraïbi. J’essaye d’en savoir un peu plus en lui disant "mais je ne sais pas s’ils font tout là-bas, peut-être qu’ils ne vendent pas de livres" et là il me dit que c’est pour acheter des places de concert.
Driss Chraïbi est mort, peut-être le savait-il, peut-être en avait-il été triste ? Je ne le saurai jamais.
Il y a quinze ans, après 40 ans de carrière, sur quatre livres (publiés, comme la majorité, chez Denoël), dont "L’Homme qui venait du passé", il a créé un personnage récurrent : l’inspecteur Ali, un agent complètement exubérant qui combat le crime avec des méthodes très peu orthodoxes et un humour désopilant. Et il menait ses enquêtes à l’aide de tout le monde et notamment des chauffeurs de taxi… Ils l’attendaient au coin de la rue lorsqu’il investiguait les lieux, tant de coups de klaxons donnés signifiaient telle chose… tout ça en échange d’un petit bakchich qui arrondissait les fins de mois. Peut-être finalement que l’inspecteur Ali enquêtait sur moi ?